Photo Jan Kratochvil
La manière occidentale de considérer l’éclairage a longtemps été d’apporter plus de lumière là où il y en avait peu ou pas. Cette vision pragmatique a perduré longtemps et persiste encore de nos jours dans une certaine mesure.
Prenez une ligne aérienne du métro à Paris un soir d’hiver, regardez les fenêtres des immeubles, et vous pourrez constater que bien souvent la lumière jaillit littéralement des logements.
Promenez-vous dans un village de campagne, et vous-vous trouverez bientôt face à face avec un absurde spot à LED à allumage automatique fabuleusement éblouissant qui vous aveuglera pour un bon moment.
Que dire de l’éclairage public rarement déployé de manière cohérente et dont la couleur jaune due aux lampes à décharge à vapeur de sodium (même si elles tendent à disparaitre au profit des LED dont le spectre lumineux est plus naturel) donne aux espaces péri-urbains des airs de série Z post-apocalyptique.
Mais il existe une autre façon d’envisager les choses. en 1650, sur décision du shogun Iemitsu Tokugawa 徳川家光, le Japon est fermé commercialement et territorialement aux autres puissances (à l’exception de quelques marchands Néerlandais, Chinois et Coréens). Commence alors une longue période de repli, connue plus tard sous le nom de sakoku 鎖国, littéralement « fermeture du pays », qui fait temporairement dévier le Japon des rails de l’évolution technologique sur lesquels le Monde s’engage alors et qui aboutira pour l’occident à la révolution industrielle au XIXe siècle.
, sous la menace du feu des canons, le commandant Matthew Perry de l’US Navy force le shogun à signer le « traité de paix et d’amitié » qui établit des relations diplomatiques officielles entre le Japon et les États-Unis. Le monde fonctionne alors à la vapeur, au gaz et au pétrole, trois énergies qui illumineront bientôt les villes grâce l’électricité, là où le Japon s’éclaire encore avec des lanternes en papier, des bougies en cire végétale et de l’huile de sardine.
Concrètement, vous l’avez compris, les japonais furent contraints d’utiliser les savoirs et matériaux disponibles sur l’archipel pendant 200 ans et l’éclairage n’a pas échappé à cette stagnation.
Mais il y a du positif dans cet état de fait : forcés malgré eux d’accepter pendant si longtemps une absence totale de forme de lumière « moderne », les japonais ont su en tirer parti et développer tout un art de vivre de la pénombre.
Il en résulte une approche de la lumière totalement différente de la nôtre même encore aujourd’hui : là où nous glorifions la lumière lustrale et purificatrice jusque dans le moindre recoin, le Japon a su conserver en certains endroits des lueurs discrètes qui laissent une part d’ombre exister plutôt que subsister. Et si les grands axes des villes sont autant illuminés (voire plus) que les nôtres, il suffit d’emprunter n’importe quelle rue secondaire pour vérifier que l’ombre y à toute sa place.
C’est le grand auteurJun’ichirō Tanizaki 谷崎 潤一郎 qui traita le premier du sujet dans son ouvrage de 1933 « Éloge de l’ombre » : « L’auteur, obsédé par le thème de l’occidentalisation du Japon, défend une esthétique de la pénombre en réaction à l’esthétique occidentale où tout est éclairé. Il s’emploie à comparer divers usages de la lumière et de l’éclairage chez les Japonais et les Occidentaux et souligne en particulier l’importance du tokonoma dans ce jeu du clair-obscur. » (Wikipedia)
Effectivement, si globalement les extérieurs japonais présentent un net déficit de lumière artificielle par rapport aux nôtres, c’est bien l’intérieur des maison traditionnelles qui reflète le mieux ce phénomène. La large avancée des toits, le retrait des pièces de vie au milieu du bâtiment, les boiseries sombres, les panneaux coulissants (shōji 障子) en papier washi qui filtrent le jour, et bien sur la singulière lueur des éclairages traditionnels, tout concourt à l’établissement ou plutôt au rétablissent de l’équilibre entre ombre et lumière, pour le plus grand plaisir de l’œil du profane comme de l’amateur… éclairé.
Je m’inscris très modestement mais véritablement dans cette manière de concevoir la lumière, et je vous propose sur ma boutique des luminaires qui éclairent aussi peu qu’une bougie. Vous serez alors surpris de découvrir la part d’ombre de vos intérieurs, et saurez l’apprécier, je l’espère, à sa juste valeur.